cinema solitude

 

C'est depuis un assez long temps que relativement m'est familier le travail théâtral. Ce n'est que tard, par contre, qu'il m'a été donné d'assister au tournage d'un film. Chose alors qui avait suscité en moi, en toute ingénuité, une suite de réflexions sur le cinéma, sur cet art tel qu'il se constitue, et par là même aussi parallèlement sur le théâtre. Aujourd'hui, plus de dix ans après, je me risque à mettre en ordre et mettre au clair ces quelques aperçus.

 

Premier jour, tournage de la première scène. On assiste à l'assaut, fleuret au poing, de deux jeunes escrimeurs, deux garçons dûment équipés et costumés à la Zorro. Le combat a lieu sur un muret longeant en surplomb le bord rocheux de la mer. Après quelques passes, l'un des garçons soudain s'arrête, il vient d'apercevoir en contrebas, sur les rochers, le cadavre tout nu d'un homme.

Le soir même, à la projection des rushes, étonnement. Ce que dehors, lors du tournage, on voyait ensemble, en un même espace, aussi bien ce qui se passait en haut du muret que ce qui se trouvait sur les roches, en contrebas, tout cela est devenu sur l'écran une succession d'images partielles délimitées avec netteté et précision. Quoi de commun, c'est la question immédiate alors, la question presque machinale, entre ce qui a été vu lors du tournage et ce qui est donné à voir sur l'écran ? Spectacle, on réservera le nom de spectacle à ce qui est vu directement lors du tournage. A ce qu'une fois filmé le spectacle est donc devenu, à ce qui est donné à voir sur l'écran, sera réservé le nom évidemment d'image. "Il y a ce que l'oeil voit au tournage, ce que la caméra enregistre et ce que le spectateur voit sur l'écran" dit Dominique Villain (L'OEIL A LA CAMERA). On dira ici : il y a regarder le spectacle, il y a regarder l'image, il y a regarder le film. On dira aussi, en rapport à l'opération à chaque fois requise : il y a le jeu, il y a le tournage, il y a le montage. De montage, il ne s'agira aucunement ici, le propos ici étant uniquement de jeu et de tournage, autrement dit de spectacle et d'image. Et la question se pose alors comme suit : quoi de commun entre ce que voit l'oeil et ce que la caméra enregistre, autrement dit entre le spectacle et l'image ? Il existe en fait un art du spectacle, un art du jeu directement regardé, cet art a nom théâtre. Il existe aussi un autre art, celui du jeu donné à voir par l'intermédiaire d'une opération qu'on dira filmique, il existe en somme un art de l'image et cet art a nom cinéma. La question peut donc se formuler ainsi : quoi de commun entre théâtre et cinéma ?

Mais répondre alors, ne serait-ce pas se prendre au piège, en vérité, de la question même ? Implicitement ce que cette question postule, en se posant comme allant de soi, ne serait-ce pas qu'entre cinéma et théâtre il va de soi aussi qu'il y a un fondement commun ? Or, le premier soir, la projection des rushes a été un étonnement tel que cette question du fondement entre théâtre et cinéma est apparue, et tout aussi machinalement, comme une tentation originellement erronée, et comme un risque aussi, d'envisager cinéma et théâtre, une fois de plus, en tant qu'oeuvres, en tant que produits constitués, et non pas, ce qui a donc été le cas lors du tournage, en tant que processus selon lesquels l'un et l'autre arts respectivement se constituent. Cet étonnement face au mode de constitution, ce choc originel, c'était comme une interdiction d'aller au-delà, comme une obligation de s'en tenir à l'origine même et de rapporter alors méthodiquement, peut-être oiseusement, le théâtre au spectacle et le cinéma à l'image afin de pouvoir ainsi confronter cinéma et théâtre en fonction des principes constitutifs de l'un et de l'autre.

 

Tous les soirs projection des rushes, à chaque fois le même étonnement. Cette image sur l'écran, c'est celle-là même évidemment qui a été prise au cours du tournage et la projection renvoie à chaque fois, donc, à la caméra. Le lieu de ce passage concret du spectacle à l'image est le cadrage effectivement, dans l'objectif, d'où va naître un plan rigoureusement circonscrit, le chef opérateur, s'il n'est peut-être pas le vrai metteur en scène, étant alors le vrai et le seul metteur en image (1). Et coller son oeil à la caméra devient très vite une obsession, très vite une nécessité pour qui veut savoir en quoi consiste effectivement cet acte de naissance. Et de voir alors à la fois et le jeu joué devant la caméra et le plan que la caméra en fixe et retient, très vite aussi s'impose une nouvelle question : le vrai rapport entre image et spectacle, entre cinéma et théâtre, est à trouver là, à ce point d'origine, et nulle part ailleurs, mais là en quoi exactement ? Ceux qui jouent et ceux qui regardent, au théâtre, sont en même temps dans un même lieu : au cinéma, lors du tournage, il en est également ainsi. Mais ce que jouent les uns et ce que regardent les autres, c'est pour tous, au théâtre, une seule et même chose : au cinéma, lors du tournage, il y a ce que les uns jouent et c'est une chose, il y a ce que dans l'objectif les autres regardent et c'est une autre chose, et les deux ne sont donc pas les mêmes. Est alors évident ceci : au cinéma les uns, ceux qui filment, connaissent, en un même temps, certes, et dans un même lieu, une chose que les autres, ceux qui jouent, ne connaissent pas, ne connaîtront jamais avant la projection. Evidence un peu simple ? Evidence en fait décisive. Entre le spectacle et l'image, et donc entre le théâtre et le cinéma, s'il y a différence effectivement fondamentale, elle tient à ce fait que ce qui est différent, de l'un à l'autre art, c'est effectivement le principe fondateur, le mode constitutif. Le théâtre ? Il est l'art qui ne se peut que selon cette loi : ce que connaissent les uns, ceux qui jouent, c'est ce que connaissent aussi les autres, au même instant, ceux qui regardent. Le cinéma ? Il est l'art qui ne se peut que selon cette autre loi : ceux qui jouent ne connaissent jamais ce que connaissent, au même instant, ceux qui regardent. Au théâtre ? Ce qui est joué et ce qui est regardé est donc identique et cette identité fondamentale, il ne peut sans elle y avoir théâtre. Au cinéma ? Ce qui est joué et ce qui est regardé n'est jamais identique. On pourrait dire alors : n'y a-t-il pas aussi au cinéma identité de ce qui est à voir sur l'écran et de ce qui est dans le regard qui le regarde ? Une telle identité existe effectivement, mais elle est identité d'un regard et d'une image et non pas d'un regard et d'un jeu, jeu qui, en tant que tel, sur cet écran n'existe plus, qui n'avait été joué devant la caméra que pour qu'elle en retienne uniquement cette image. On peut donc, en s'en tenant à sa seule origine, on doit donc définir le cinéma ainsi : il est l'art, il est le regard qui tout simplement de ce qui est joué constitue et fonde une image, image qui est, pour ceux qui jouent, vision inconnaissable.

Or, moi, à tel instant, à tel endroit, moi qui suis regardé par tel ou tel, ce regard de qui me regarde et qui est regard pour moi inconnu, n'est-ce pas là banalement, quotidiennement, universellement, n'est-ce pas là ce qui a pour nom le regard réel ? Ce regard sur le monde et dont le monde alors regardé ignore ce qu'il est, n'est-ce pas là le regard humain même, en tout lieu comme à tout instant, le seul regard possible ordinairement sur toute réalité (2) ? A cette question, comment répondre autrement que par oui, mais dire que ce regard-là, ce regard dont ne sait rien ce qui est regardé, dire que ce regard n'est autre effectivement que le regard humain universel et quotidien, c'est dire que le regard du cinéma, que le regard de l'objectif, pour ceux qui jouent regard inconnaissable, est constitutivement l'analogue en fait du regard réel, qu'il est l'analogique imitation du regard de tous et sur tout, c'est dire finalement que le regard, que l'art du cinéma, analogie ainsi de la vision humaine réelle, est fondamentalement art réaliste. Y aurait-il alors, dira-t-on, un autre art possible, y aurait-il un art où le regard alors soit autre ? Oui, le théâtre, on l'a déjà dit, le théâtre est cet art autre effectivement, cet art où le regard n'est jamais regard inconnu de ceux qu'il regarde, où ce qui est joué et ce qui est regardé, on le répétera, sont une seule et même chose, et fondamentale est cette identité. Aller au théâtre, c'est se retrouver dans un lieu où le regard réaliste, où le regard analogue au regard réel sur le monde, est chose impossible, où seul est possible un regard autre : on l'appellera regard imaginaire. Et si donc le théâtre est régi par le principe d'identité, le cinéma l'est, lui, par le principe d'analogie. Aller au cinéma, c'est être un regard qui va découvrir, lui, sur l'écran, ce que pour lui a constitué un regard analogue au regard réel sur le monde, un regard donc analogiquement réaliste.

Si le cinéma est cet art réaliste, il ne l'est ni par son contenu, ni par son esthétique, il l'est en vérité par principe, il l'est à son origine même, il l'est effectivement par son mode même constitutif. Quel que soit sur l'écran ce qui est donné à voir, que ce soit scrupuleux documentaire, aventure onirique ou fiction toute artificieuse, il n'y aura, face à tout film, qu'un seul regard possible, un regard qui regardera ce qui est sur l'écran comme il regarde en fait toute réalité, et ce regard n'est tel face à l'écran que parce que déjà il était tel originellement, tel dans l'oeil déjà de la caméra, regard analogue au regard quotidien réel sur l'universel jeu humain. N'y a-t-il rien là de plus, dira-t-on alors, que la logique application d'une nouvelle technique, à savoir au siècle dernier la photographie, et le suprême accomplissement de son devenir potentiel propre ? En vérité, quel que soit le pouvoir qu'il met en jeu, aucun art, et cet art non plus qu'est le cinéma, n'est jamais potentiellement donné, aucun art jamais ne va logiquement de soi, l'art n'est autre que le moyen d'une fin que de lui-même et par lui-même il se propose et qu'il atteint ou non : si la vision du cinéma est cette vision analogiquement réaliste, elle ne le doit qu'à son mode concret de constitution tel qu'on l'a défini, pratique effectivement dont lors du tournage on peut à tout instant faire le constat. Bref, rien de commun, pour conclure à propos de la question posée, entre théâtre et cinéma vraiment rien de commun, ce qu'on formulera sous la forme d'un paradoxe : art constitutivement qu'en l'occurrence on dira naturel, le théâtre est l'art même en fait de l'imaginaire, alors que le cinéma, art constitutivement qu'en l'occurrence on dira, lui, artificiel, le cinéma est réalisme.

 

Spectacle, autrement dit, c'est ainsi qu'on l'a défini, jeu regardé directement, spectacle est un terme en vérité qui fait question, c'est ce qui très vite, à voir un tournage, apparaît aussi. Le statut du jeu n'est pas le même effectivement pour des comédiens selon que ce jeu a pour destination la scène théâtrale ou le film : jouer pour le cinéma, autrement dit, ce n'est aucunement jouer pour le théâtre. On connaît l'anecdote, à l'un de ses amis comédiens annonçant qu'il va pour la première fois jouer dans un film, Jouvet répond : "Trouve-toi une chaise". Attendre, effectivement, pour chacun des comédiens jouant dans la ou dans les scènes du jour, pour chacun d'eux dûment costumé, dûment maquillé, la longue affaire, avant que ne soit prêt le dispositif technique, effectivement la seule et longue affaire alors, c'est d'attendre. Attendre, et plus d'une fois des heures, attendre quoi ? Que soit procédé au tournage enfin de la scène, à la prise enfin, mais quelle disproportion entre les heures d'attente et les quelques secondes, au plus minutes, que chaque prise en réalité demandera ! C'est une chose, au début, qui laisse bouche bée et déconcerte, après quoi on n'y pense même plus : ce qui seul va retenir, ce qui assez vite apparaît comme ayant seul un sens, ce n'est pas en fait cette disproportion, c'est l'attente elle-même et plus exactement ce qu'elle est. Seul, ces heures durant, chaque comédien est seul, seul avec son scénario, seul avec ses répliques, seul avec son seul personnage. A de très rares exceptions près, la direction d'acteurs, quelle que soit son importance, ne se fait qu'à l'instant du tournage et qu'en un tête à tête, en un seul à seul entre metteur en scène et comédien ou comédienne, il n'y a jamais de concertation préalable entre l'ensemble des comédiens et le metteur en scène, et jamais non plus de confrontation entre les comédiens eux-mêmes : il y a là, certes, une équipe, mais en tant que telle elle n'existe au mieux qu'à l'heure du repas, il y a là une équipe en fait sans travail d'équipe, artistiquement parlant. Comment concevoir son personnage et comment le comprendre et comment le jouer, ce travail sera travail fondamentalement solitaire, et chaque comédien jouera ce que pour l'essentiel lui seul s'est imaginé comme étant à jouer. Quand l'attente enfin se termine et quand l'instant de la prise arrive enfin, celle d'une scène à deux par exemple, une rencontre a lieu alors entre deux comédiens jouant deux personnages aussi seuls l'un que l'autre, et ceci du seul fait qu'originellement, quel que soit ce qu'il est selon le scénario, chacun d'eux n'a été imaginé, n'a été défini que par un comédien essentiellement seul. L'évidence alors, l'autre évidence au regard de qui suit un tournage, est celle-ci : jouer pour le cinéma, c'est jouer un jeu constitutif de solitudes.

Evidence un peu simple, elle aussi ? Evidence elle aussi décisive. Entre le jeu pour le théâtre et le jeu pour le cinéma, quelle différence y a-t-il en vérité ? Il va de soi qu'au théâtre aussi, pour chaque comédien, il va s'agir de concevoir, comprendre et jouer son personnage, et pourtant rien de ce travail individuel ne se fera que sur la base d'un travail collectif, d'un vrai travail d'équipe, une équipe constituée originellement par le metteur en scène et dont le metteur en scène au cours de tout le travail sera responsable. Et du travail à la table à la concertation d'ensemble, à la confrontation permanente, et surtout de répétition en répétition, de filage en filage, un travail s'accomplit qui fondamentalement, dans sa totalité, est constitution progressive ainsi d'une communauté. Le travail théâtral a pour principe effectivement la communauté même et la communauté en tout et pour tout est sa loi : le théâtre, école, équipe, troupe, ne se conçoit pas, à tous les sens du terme, autrement que comme action commune. Essentielle au théâtre est cette loi, au point qu'on pourra même aller jusqu'à confondre totalement théâtre et communauté, jusqu'à ne plus penser, ne plus pratiquer l'un sans l'autre : impossible ici de ne pas évoquer ce qu'a été le Living Theatre. Si la vérité du théâtre est bien la communauté, le Living Theatre est cet attroupement qui a tenté de faire effectivement de cette vérité un absolu pratique, ambition peut-être vouée à l'échec, mais la vérité reste : il n'y a pas de théâtre sans communauté, le théâtre est constitutivement entreprise commune.

Au cinéma, ce qui donc est à jouer, les comédiens eux-mêmes et par eux-mêmes en décident, et chacun dans sa solitude, en toute indépendance, et c'est en fonction de leurs choix respectifs qu'ils jouent, mais pour qui jouent-ils ? Au théâtre, ils jouent pour les spectateurs, mais au cinéma, mais lors du tournage ? Ils jouent, répondra-t-on, pour la caméra, autrement dit pour le metteur en scène, et leur jeu ainsi est tout simplement reçu, répondra-t-on, par celui auquel il est destiné. Mais ce que reçoit, ce que prend plutôt le metteur en scène, en fait ce n'est pas leur jeu tel qu'il est, leur jeu en entier, comme c'est le cas au théâtre, au cinéma c'est exclusivement ce que de leur jeu le metteur en scène a choisi, a décidé, lui et lui seul, de retenir, ce n'est donc pas leur jeu lui-même à proprement parler. Leur jeu tel qu'il est, les comédiens au cinéma ne le jouent en fait pour personne, ils le jouent en fait pour eux-mêmes, et de ce que pour eux-mêmes ils jouent, le metteur en scène alors prendra ce que lui seul jugera qui lui convient. Or, jouer ainsi, jouer pour moi, jouer pleinement pour moi mon propre jeu, mon propre personnage, et devenir telle ou telle image au regard de qui me regarde, en vérité n'est-ce pas là, pour tous et partout et quotidiennement, la condition même en fait de l'être humain réel ? Chaque être humain n'est-il pas solitude en fait, n'est-il pas personnage en fait solitairement défini, solitairement décidé, solitairement joué, et n'est-il pas ainsi livré à ce regard d'autrui qui du jeu regardé ne retiendra que ce qu'il voudra ? Ce que chaque être humain fera, à d'assez rares exceptions près, ce que chaque être humain indépendant va faire, il le fait non pas après décision collective, il le fait, bien ou mal, juste ou non, sur une seule décision, claire ou non, secrète ou déclarée, une seule décision solitaire et qui est sienne et seulement sienne. Est-il nécessaire alors d'expliciter ? Le jeu du comédien de cinéma, le jeu joué par chacun pour lui-même et pour lui-même seul, dont quelqu'un d'autre, à savoir le metteur en scène, ainsi ne retient que ce qu'il veut, ce jeu pour chacun solitaire, issu de la solitude seule et constitutif de la seule solitude, il est, ce jeu, l'analogue en fait du grand jeu humain, la solitude en fait du comédien est analogiquement la solitude humaine universelle et quotidienne. Il est donc là aussi, comme il l'était lors du tournage, autrement dit comme il l'était quand il devenait cette image alors qu'il ne pouvait connaître, il est donc là aussi, ce jeu, constitution analogique, il est donc là aussi réalisme. En définitive, on dira que le cinéma est art doublement réaliste, en tant qu'il est constitutif d'une analogique solitude analogiquement à soi-même inconnue.

 

"Nous sommes solitude" et le cinéma, cette solitude effectivement que nous sommes tous, c'est pour lui l'absolue et l'unique vérité : le cinéma est solitude. Et sur l'écran ce qui surgit toujours, ce n'est que l'image effectivement de l'être humain tel qu'il est en réalité, solitude toujours qui ne sait rien que le jeu qu'elle joue et qui ne sait en fait qu'une seule chose, autrement dit, c'est que dans ce qu'elle joue et par elle-même et pour elle-même, il n'y a rien, ni plus ni moins, rien que ce qu'elle-même appellera son destin. Le cinéma a beau n'être considéré ici qu'en tant que mode originel, qu'en tant que processus constitutif de lui-même, il n'en reste pas moins qu'est possible, à partir de ce mode uniquement, possible en quelques mots, même s'il est ridicule ainsi de pallier de façon aussi rudimentaire à ce qui serait à faire, à savoir un compte rendu formel du cinéma, en tant alors que constitué, du cinéma en son entier comme figuration de l'humaine solitude, est pourtant possible ici de noter quelles figures simples, et même primaires, le cinéma dessine et varie à l'infini, quelles figures, sur l'écran, du seul destin de l'être seul. Ces figures, et le plus élémentairement, le plus logiquement du monde, elles seront celles ici que tout le monde évidemment serait à même de relever et que voici : celle d'abord de l'être effectivement seul, seul avec lui-même et pour quelque raison que ce soit - celle ensuite de l'être présent avec d'autres, cette présence à plusieurs n'ayant tôt ou tard son sens que dans la présence à deux, que dans le seul à seul, que dans le tête à tête - et celle enfin du duel, du face à face en lequel le seul à seul va se résoudre, en lequel pour chacun se joue, et décisivement, son propre destin. La figure d'abord de l'être absolument seul, son plan de vérité, lequel est dans tout film ponctuation constante, est évidemment le gros plan - la figure ensuite du seul à seul, du tête à tête, a sa vérité, elle, dans ce champ-contrechamp dont on peut affirmer qu'il est en fin de compte, en toute diversité, le processus de règle effectivement obligatoire - et la figure enfin du face à face a pour plan vrai ou bien chacun de ses plans, quel qu'il soit, dans un premier cas où le face à face est processus général non manifeste, ou bien le plan moyen, le plan de chaque être en entier, dans un deuxième cas où le face à face, où le duel est affrontement final (3). Dans le premier cas, c'est de façon latente, occulte effectivement, c'est à travers tout un réseau de rappports, tout un jeu de toute une société, que se produit ce face à face à la fois sans cesse déguisé et poursuivi sans cesse, EVE, entre autres, en étant un probant exemple. Et dans le deuxième cas, c'est au contraire à découvert que le face à face alors décisif a lieu enfin, l'exemple en étant à chercher évidemment dans le western classique, on songe, entre autres, à la fin du TRESOR DU PENDU, où les deux hommes vont l'un vers l'autre à travers une petite ville fantôme, ville déserte au milieu du désert, où plus rien n'existe hormis ces deux êtres seuls dont l'un doit, dont l'un va mourir. Tout destin étant analogiquement au cinéma destin d'une solitude, il sera aussi sur l'écran soit heureux, ce destin, soit tragique. Heureux ? Le destin a tout simplement pour plan de vérité alors celui du fameux baiser, qu'il soit donné à voir comme tel ou qu'il soit seulement suggéré, un magistral exemple en étant la fin de LA MORT AUX TROUSSES, où l'aboutissement mortel imminent, l'homme n'ayant que le temps de saisir la main de la femme avant la chute, à la dernière image est transformé, humour vraiment irrésistible, en dénouement le plus heureux qui soit, l'homme hissant la femme jusqu'à lui dans la couchette d'un wagon-lit. Destin tragique ? Il n'a d'autre plan vrai possible évidemment, donné à voir comme tel ou suggéré, que celui d'une mort, mais la vérité du tragique, évidemment aussi, est vérité d'un destin vrai, autrement dit destin d'un être seul, d'un être étant seul ce qu'il est, destin d'un seul rêve, en fait, de ce rêve seul qui lui est propre, et destin même, au fond, du rêve d'enfant qu'il est, la fin tragique étant alors, pour le cinéma le plus profondément, le plus humainement vrai, ou bien rêve irréalisé ou bien rêve accompli paradoxalement dans la mort. Comme exemple entre tous d'inaccomplissement, CITIZEN KANE peut-être est le plus juste, où la pleine réussite sociale aux yeux de tous est pour l'être même, est pour cette solitude qu'il est et qu'il reste échec, sa réussite au fond n'étant pas la sienne et le traîneau d'enfant finalement brûlé en toute inconscience étant l'image ainsi de son seul rêve sien, vraiment, profondément, resté inaccompli. Et comme accomplissement paradoxal, l'exemple en sera QUAND LA VILLE DORT, où la mort finale est échec aux yeux de tous, mais rêve accompli pour l'être seul qui va mourir, là-bas dans la pâture, au pied des chevaux de son enfance (4).

 

Un ultime étonnement, lors du tournage, un trouble même en vérité pour qui jusqu'alors n'avait jamais pu observer que le seul travail théâtral, c'était celui qu'à chaque fois suscitait l'emploi du langage, autrement dit sa place à l'intérieur du jeu destiné à devenir image, et plus impérative était l'évidence à chaque fois que ce qui fait au fond la différence entre théâtre et cinéma, le comprendre était impossible en fait sans élucider le rapport de l'un et l'autre arts à la parole.

Il ne serait pas si faux de soutenir que le cinéma est fondamentalement un art muet, ceci non pas parce qu'il l'est à l'origine historiquement, mais parce qu'en lui effectivement la parole est tout sauf fondamentale. Elle n'est en lui analogiquement que ce qu'elle est dans la réalité, qu'une composante entre autres, bien qu'en elle-même essentielle évidemment, de tout ce qu'est la vie humaine en son universelle, en sa quotidienne manifestation. Si seule est fondement au cinéma la constitution analogue au réel, mais au réel en tant qu'organique, en tant que vivante humaine totalité, la parole a sa place en elle effectivement, mais n'a que sa place ainsi toujours relative, et cette totalité analogique, elle existe non pas au cinéma par la parole, elle n'existe et ne peut exister que par l'image et l'image seule. Innombrablement se répète en tout film le plan muet, plan qui jamais ordinairement n'est perçu comme manque, encore moins comme manquement, plan qui apporte même enfin, généralement, le véritable sens, le sens profond que n'ont fait qu'exposer partiellement, que préparer en fait les plans parlants. Quel plan, exemple fameux entre tous, sera jamais plus riche et plus sobre à la fois, plus dense et plus ambivalent, plus confondant de vérité, d'humaine solitude, au fond, que le gros plan muet qui parachève LES LUMIERES DE LA VILLE (5) ?

Tout autre est le théâtre et s'il en est effectivement ainsi, c'est que tout autre est son fondement, lequel est parole, et plus exactement profération d'un texte. Originellement, constitutivement, le théâtre est texte, autrement dit ce qui dans un spectacle est à jouer, ce qui sur scène est à faire exister, c'est ce que le texte est seul à même de susciter, c'est l'univers, si variable qu'il soit d'une mise en scène à l'autre, à l'infini c'est l'univers dont le texte lui-même, en lui-même, est porteur potentiel. Le scénario de cinéma, dira-t-on alors, lui aussi est texte, et texte lui aussi potentiel, n'est-ce pas de lui que naîtra tout ce qui sera à voir sur l'écran ? Le scénario, effectivement, c'est à partir de lui que se constituera totalement l'analogique réalité qui est celle de tout film, mais cette réalité, en elle il n'y aura pour la parole, en tout film, que cette place relative et qu'on a déjà dite, alors qu'au théâtre il n'y a pas pour la parole une place, et de quelque ampleur qu'elle puisse être, il y a toute la place et ceci constitutivement : la parole est fondement du théâtre même en totalité, autrement dit le théâtre est parole, il existe non pas par l'image, il n'existe et ne peut exister que par la parole et la parole seule. Et le mime, et la pantomime, et tel ou tel essai de théâtre muet, dira-t-on, n'y aurait-il plus là théâtre ? Il y a là, ce qui est regardé étant là aussi identique à ce qui est joué, il y a là, régi ainsi par ce principe d'identité, il y a là spectacle, il y a là théâtre : il s'ensuit que ce théâtre-là, si différent, si même transgressif qu'il soit, ne se définit, lui aussi, et ne pourra jamais se définir, théâtre qu'il est et qu'il reste dans tous les cas, que par rapport au théâtre même, au théâtre tel essentiellement qu'il est, et le théâtre essentiellement, quoi qu'on veuille et puisse en faire effectivement, le théâtre est parole (6). Et cet univers que la parole ainsi fait exister, cet univers joué sur scène et non pas montré, non pas devenu image à regarder sur un écran, cet univers qui est et reste imaginé, cet univers est donc essentiellement imaginaire. Et le jeu, dira-t-on, l'univers qui est joué lors du tournage, au cinéma, n'est-il pas univers imaginaire, lui aussi ? Il l'est, c'est vrai, mais pris par l'objectif, par un regard qui ne fera de lui qu'une image, il deviendra, d'imaginaire univers qu'il est, il deviendra tout autre chose, à travers ce processus constitutif, un tout autre chose ayant nom analogique réalité. Jeu imaginaire, lui, regardé par un regard précédemment appelé imaginaire, lui aussi, le théâtre est ainsi cet imaginaire absolu : si réalisme est constitutivement l'art du cinéma, le théâtre est art constitutivement de l'imaginaire.

 

A ces brèves considérations touchant théâtre et cinéma, la conclusion, chose alors qui n'étonnera pas, la conclusion ne peut être que double.

Communauté, celle nécessairement que requiert le travail théâtral, celle tout aussi nécessairement que constituent ceux qui jouent et ceux qui regardent, communauté est la vérité du théâtre. Elle l'est déjà à l'origine historiquement : le théâtre grec, sa perfection tenait toute entière à ce fait qu'il était cet art commun constitutif de cet imaginaire commun pour ce commun regard qu'était celui de tout un peuple. Et s'il est hantise à travers les temps, le théâtre grec l'est ainsi de n'avoir fait, de ne faire qu'un à tout jamais avec sa vérité, autrement dit de n'être à tout jamais qu'absolument, que totalement communauté. Cette communauté, elle est pourtant et reste à l'origine aussi de tout théâtre, et quel qu'il puisse être, à partir de quelque texte que ce soit, grave ou divertissant, riche ou pauvre, et quelle que soit la société qui alors lui est contemporaine, elle est et restera vérité à travers les temps de toute constitution d'une entreprise commune ayant pour fin de faire exister communément dans un commun lieu un imaginaire univers commun.

Une telle communauté, pour le cinéma, est arbitraire, est irréelle : il n' y a pas, pour le cinéma, il ne peut y avoir de communauté, il n'y a analogiquement que la société et qu'elle seule, pour lui, que l'analogique réalité des rapports réels entre humains réels, autrement dit entre humaines solitudes. Il en est effectivement ainsi pour le cinéma non pas du fait d'une philosophie, expérience ou doctrine, esthétique ou morale, il en est ainsi originellement : le cinéma est cet art où le jeu n'a pas sa vérité à l'intérieur d'un jeu commun, mais est pris et retenu, à chaque fois, en tant que jeu constitutif de solitude. Et si le cinéma a sa philosophie, elle n'est en rien application d'une quelconque abstraction préalable, elle est philosophie originelle, indissoluble autrement dit de sa seule mise en oeuvre, elle est en ce sens, dira-t-on, celle de la caméra même : elle est en fait, constitutive analogie, elle est philosophie ainsi d'un art pour qui n'existe analogiquement, pour qui jamais ne pourra analogiquement exister que la seule société réelle en sa réelle complexité, que les seuls rapports entre seuls êtres seuls, que les seuls destins singuliers, heureux ou non, que l'accomplissement ou non de chaque humaine solitude seule (7).

 

1 - Il est toujours possible, à ce qui est à voir sur l'écran, d'imaginer un prolongement, mais ce sera alors du spectacle, au sens qu'on a dit, ce sera alors imaginairement du théâtre. Au cinéma, autrement dit, il n'y a que le seul cadrage et que le champ seul : le hors-champ est tout simplement du hors-cinéma. retour

2 - Il s'agit ici, faut-il le préciser, non pas de regard au sens figuré, au sens de jugement, non pas de ce que peut penser celui qui regarde, il s'agit ici de regard au sens propre, il s'agit de ce que voit celui qui regarde (et de ce qu'il entend : on précisera, et ce une fois pour toutes, que dire ici regard, c'est évidemment dire aussi écoute) et ceci quel que soit ce qu'il peut penser, quel que soit le jugement qu'il porte. retour

3 - Mesure d'existence, au cinéma pour l'être humain, c'est ordinairement ce qu'est le gros plan. Ce qui, à chaque fois, va faire exister un être alors dans toute sa singularité, c'est lui et lui seul. Son absence, et pour cause en fait, la plupart du temps, de non-nécessité, ce qui est le cas entre autres pour une foule, est synonyme d'inexistence. On prendra deux exemples ici opposés. Le premier, dans IVAN LE TERRIBLE, est celui de cette longue file au loin serpentant dans la plaine et dont la non-existence alors a son plein sens. Le deuxième est celui, dans ALEXANDRE NEVSKI, de cette foule où la multiplication des gros plans fait que chacun alors existe. Et ne pas mentionner aussi le cinéma du néo-réalisme est impossible, impossible, entre autres, d'oublier les gros plans de la foule à la fin du film LE SOLEIL SE LEVERA ENCORE. Emmenés par les Allemands, les deux hommes, "celui qui croyait au ciel", il est prêtre, et "celui qui n'y croyait pas", les deux hommes avancent en silence au milieu des villageois tous rassemblés, le prêtre soudainement, tout bas d'abord, puis de plus en haut, se met à réciter les litanies de la Vierge, alors soudainement : "Ora pro nobis" lui répond et de plus en plus fort le choeur des villageois : "Mater dolorosa - Ora pro nobis - Mater purissima - Ora pro nobis", les Allemands hurlent, la voix du choeur se fait de plus en plus puissante : "Ora pro nobis"... "Ora pro nobis"... "Ora pro nobis"... "Ora pro nobis", les Allemands tirent, les deux hommes tombent, et l'un sur l'autre en croix. Cet exemple en est un, rare à ce point, d'un cinéma paradoxal, dira-t-on ici, en raison de sa théâtralité, autrement dit de son aspiration à faire exister sur l'écran une commune présence, une commune expérience : au fond d'un cinéma comme celui-là, une hantise, on est au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, une hantise est puissamment à l'oeuvre, hantise de tout ce qu'en tant que telle a vécu la communauté, hantise de ce que pour elle a pu signifier tout ce qu'elle a vécu, hantise et maîtrise, exorcisation du destin commun. retour

4 - And yet, and yet... Et pourtant, s'il y a un cinéma, et c'est l'immense majorité de ce qui a été fait et se fait toujours, s'il y a un art qui use, et qui abuse, avec toujours plus d'ingéniosité, de virtuosité et d'efficacité, de ce que peuvent lui rendre possible à l'infini toutes ses figures et sous-figures constitutives, un autre cinéma existe, un cinéma qui sereinement, la vraie éloquence, on le sait, se moquant de l'éloquence, aux moyens de son art en aucune façon ne sacrifiera son art même, en aucune façon sa vérité même aux figures de cette vérité. Et ce cinéma, ce vrai entre tous, entre tous essentiel avec autant de liberté que d'intransigeance, on le doit à celui qui peut-être a été dans son art et reste toujours le plus grand des maîtres, on le doit plus qu'à tout autre à Mizoguchi. Cette éloquence effectivement, cette ostentation chez trop complaisante et rarement, qui plus est, à court d'idée ou de ressource, on ne retrouvera rien, chez Mizoguchi, de cette esthétique-là, il n'y a chez lui, comme évidemment chez tout autre, il n'y a que rapports d'êtres singuliers, mais jamais les êtres humains n'existent chez lui hors de leurs rapports, de leurs concrètes contradictions : plans-séquence, enchaînement rigoureux et souple à la fois de plans d'ensemble et de plans moyens, combinatoire inépuisable à l'intérieur du champ profond, tel est chez lui généralement le cinéma, chaque plan toujours étant composition sans faille, et le plan rapproché suffisant, chez lui, pour révéler ce que devient aux instants décisifs, jusqu'en son plus intime, un destin humain. Bref, la caméra est toujours chez lui à la distance juste et son art, tout scrupuleusement, tout savamment exact qu'il soit, dire de son art qu'il a du rêve la fluidité, c'est dire en fait qu'il est tout simplement, tout suprêmement l'art vrai, celui, autrement dit, qui efface l'art : son art, sans jamais aucune complaisance à rien, son art n'est autre, au fond, que l'art indéfectiblement de la juste et pleine et lumineuse mesure. Et cette mesure, et cette presque trop évidente perfection, son secret tient en fait à ceci que chez Mizoguchi le regard, compte évidemment tenu de sa toute singularité, son statut jamais ne déroge à celui même du cinéma, lequel est, on l'a vu, statut analogique, autrement dit tient à ceci que le regard, pour sa distance et pour son emplacement par rapport au spectacle à filmer, le regard-caméra de Mizoguchi se constitue en tant toujours que regard analogue au regard qu'on dira ordinaire, analogue à ce que réellement, pour son emplacement par rapport à telle chose à voir, est ou voudrait être un ordinaire et quotidien regard humain. retour

5 - Fin des CONTES DES CHRYSANTHEMES TARDIFS de Mizoguchi : l'acteur de kabuki vient de connaître enfin le grand succès, c'est sur l'eau le cortège enfin du triomphe, un cortège qu'il conduit, lui, alors que la femme qu'il aime est chez elle, il le sait, mourante. Au dernier plan, sur le premier bateau chargé de lanternes géantes, il est debout seul à la proue et salue en silence. Et ce plan moyen, ce long plan muet, rien en lui qui ne soit comparable au gros plan final des LUMIERES DE LA VILLE, en lui rien effectivement, rien ne le cède à ce fameux exemple en richesse, en sobriété, en complexité, en ambivalence, humaine solitude, humaine vérité. retour

6 - Quelle place aujourd'hui ce théâtre muet a pu prendre, on le sait depuis LE REGARD DU SOURD, depuis l'expansion de ce qu'on a pu appeler, chez d'autres aussi que Wilson, le théâtre-image. On le répètera : il n'en devient pas pour autant, ce théâtre, image au sens où l'est l'image au cinéma, au sens autrement dit analogique, il reste bien théâtre, et ce du seul fait essentiel que l'image est régie encore, en lui, par le principe d'identité, autrement dit ce qui de lui est vu est identique à ce qui en lui et par lui est donné à voir. retour

7 - Comme jamais encore, aujourd'hui, se sont amplifiés corrélativement et la mise à vif, d'une part, la mise à nu des rapports sociaux comme rapports vitaux, comme struggle for life d'êtres singuliers, comme jeu cruel de destins solitaires, et l'épuisement, d'autre part, l'épuisement chronique, exception faite des moments d'affrontements collectifs, voire de conflits, l'irrévocable épuisement progressif de tout ce qui dans cette société est conscience commune, est destin commun, est possibilité, plus fondamentalement, d'humaine communauté réelle. Est-il alors si étonnant, d'une part, que le cinéma, que cet art constitutivement des seuls rapports, des seules confrontations d'êtres singuliers, des mises en jeu du seul destin de chaque ordinaire solitude, est-il si étonnant que le cinéma ait pu être considéré comme l'art même universellement de cette société à nu, comme l'art vrai de ce monde aujourd'hui de seule solitude ? Est-il si étonnant aussi, d'autre part, que l'art du théâtre, art qui, lui, n'a pour vérité que la communauté elle-même, apparaisse alors comme anachronique en ce monde à vif, apparaisse ou comme nostalgie ou comme utopie, est-il si étonnant que cet art ne puisse être alors considéré pour ce qu'il est, malgré tout, pour ce qu'il n'a jamais malgré tout cessé d'être : un art effectivement de plus en plus précaire et pourtant si irrépressible, un art qui est et qui reste pourtant, multiforme et multivalent, l'art proprement constitutif d'imaginaire communauté, l'art commun même, et témoin ainsi encore et toujours d'une vérité possible encore et toujours en tout monde ? retour

 

 

© maurice regnaut



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