Boniface

Boniface était gratte-papier. Toute la journée il grattait et grattait du papier, assis comme tu le vois à son petit bureau. Un jour, le voilà qui arrive chez le médecin. "Docteur, j'ai mal aux jambes, mon ami Godichon m'a dit que je vienne vous voir. - Godichon a bien fait, Boniface, tes jambes, il leur faut des enveloppes. - Des enveloppes ? Combien il faut que j'en pren- ne ? - Autant que tu peux en supporter !" Boniface prend alors des enveloppes, par gros paquets, par plus petits, il mâche et mâche, il avale tout ce qu'il peut, mais pendant longtemps ça ne descendait pas, il était encore plus malade qu'avant, et puis un matin, ça y était, c'était descendu, toutes les enveloppes étaient tout autour de ses jambes, et Boniface était content, mais il avait une faim, une faim terrible, alors son ami Godichon lui dit : "Tu es ce que tu es, Boniface, il faut que tu prennes un bon mille-feuilles. - Mille feuilles ? - Mille-feuilles, Boniface, tu connais ?" Boniface prend alors mille feuilles, et pour les avaler, quel mal il a eu, ça lui est même resté sur l'estomac, regarde, il a sans arrêt la main dessus, ça lui fait mal, ça ne descend pas.

Godichon est venu le voir : "Mais t'as une vraie mine de papier mâché. - Je sais bien, Godichon, j'ai mâché tout ce que tu m'as dit, mais ca sera comme pour les enveloppes, ça finira bien par descendre; il y a autre chose qui m'inquiète. - Quoi, Boniface ? - C'est qu'en prenant les feuilles, je n'ai pas fait attention, je crois qu'elles sont plus petites que les enveloppes, et qu'est-ce qui va se passer, quand les feuilles descendront dans les envelop- pes, si tout n'est pas de la même dimension ? Je me demande alors ce que je dois faire, est-ce qu'il faut dans ce cas-là que j'avale encore mille feuilles, mais plus grandes, ou bien que je prenne encore des enveloppes, et même beau- coup plus que j'en ai déjà pris, mais plus petites ?" Qu'en penses-tu, toi, ma Poune ? A toi aussi il t'en bouche une surface ? Mais qu'est-ce qu'il faut qu'il fasse ? O pauvre Boniface !




©Maurice Regnaut