Si j’ai voulu, avec quelques amis, vous proposer cette lecture, ce n’était pas, il y a quelques mois, en hommage à une œuvre achevée. Mais simplement par amitié. Et par conviction, pour une parole inachevable. Parce que le contraste, pour plus d’un je suppose qui ont connu Maurice, entre la force et l’abondance de cette œuvre, et sa marginalité persistante, ce contraste ne peut qu’étonner. Œuvre poétique qu’on entendra ce soir, mais aussi, il faut le rappeler, œuvre théâtrale, romanesque, œuvre de traducteur autant que de penseur, œuvre dont une très grande partie est encore inédite.
L’heure n’est pas à une analyse polémique de cette marginalité. Simplement, autant s’est-elle imposée de l’extérieur, autant je crois qu’elle procède de son œuvre elle-même. Mais pas comme une œuvre qui tournerait le dos au monde. Comme une œuvre, au contraire, dont la force critique est en même temps sa force d’invention poétique. Et c’est donc elle-même, cette marginalité, qui est à entendre dans cette voix pour y reconnaître ce qu’elle invente de nous.
Nous, c’est le titre du dernier livre de poèmes que publie Bernard Dumerchez. Mais c’est aussi le foyer même de l’œuvre entière de Maurice. Écouter la voix de Maurice, celle de son écriture, c’est entendre un nous en avant de nous, c’est écouter comment elle nous écoute et donc nous invente en une parole, devenue alors aussi la nôtre. C’est pourquoi, entre autres, l’auteur qui a signé de son simple prénom les deux livres précédents qui seront lus ce soir, LBLBL et Charade événementaire, l’auteur qui a ainsi effacé son individualité dans ce nous anonyme, sujet collectif que nous sommes, par sa parole, cet auteur a pu à nouveau ici signer Maurice Regnaut, simplement parce que le livre s’intitule Nous.
Que ce soit à moi, sans doute le plus jeune de ses amis, que revient ce soir le privilège de vous présenter Maurice, aura de quoi faire sourire plus d’un parmi vous. Qu’il me soit simplement permis, au lieu d’un dérisoire miroir déformant, du Japon d’où je vous écris, d’évoquer le Maurice Zen qui m’accompagne depuis que je l’ai connu, et m’accompagnera toujours. Parce que j’y reconnais ce qui fait tenir ensemble sa poétique et son éthique et que j’entrevois son silence patient, son écoute intense, curieuse de tout et de tous et la lumière souriante au fond de son visage, avec laquelle il aurait sans doute répondu en entendant ce mot de Lao-Tseu :
« Il produit sans s’approprier.
Il agit sans rien attendre.
Son œuvre accomplie, il ne s’y attache pas.
Puisqu’il ne s’y attache pas,
Elle ne passera pas. »
C’est de cette manière zen, sans attache autre qu’une liberté partagée, que Maurice aura été pour moi l’ami rare et cher, de cette manière en marge de tout ordre connu, politique, moral ou esthétique, manière indissociablement de vivre, de penser et d’écrire. Et si on peut aussi comprendre là qu’une telle manière n’ait logiquement rien fait, en termes mondains, pour passer le seuil d’une notoriété pourtant à la mesure de sa force, tout autant s’y entend qu’elle ne passera pas à l’oubli. Ce soir pourrait même être celui de sa seconde naissance, en un sens que précise Maurice lui-même et que j’aimerais encore vous citer :
« Et c’est vrai, quelqu’un qui meurt, c’est quelqu’un qui enfin apparaît, entier, achevé, définitif, tel qu’en lui-même enfin, sa mort, c’est vrai, est sa naissance, et l’est en fait sous d’autres cieux pour qui veut croire, et le tombeau semble berceau. »
Tombeau et berceau, croire ici, et ce soir, c’est simplement croire, avec Maurice, à nous. Les autres cieux de sa parole sont les nôtres, ceux simplement de la vie qui la recommence en nous. Elle nous attend. Elle nous attend parce qu’elle nous entend, en avant de nous.
Que soient remerciés tous ceux qui, par leur talent, leur intelligence et leur générosité ont rendu possible cette soirée.
Que soit remerciée Fabienne Regnaut pour le magnifique site Internet qu’elle a créé, parce qu’il fait VOIR ce que l’écriture fait.
Merci à vous tous d’être venus et de m’avoir accordé, bien que loin, cet instant avec vous.
Olivier Kachler